Plongée dans le Temps
Publié le 11 Octobre 2009
Université de Pune, avril 1994
Je suis de passage au Centre for Development of Advanced Computing (C-DAC) pour présenter mes travaux de recherche en musicologie computationnelle, et particulièrement les derniers développements sur les structures polymétriques qui permettent de représenter des relations temporelles complexes. Le C-DAC est à cette époque le phare de la hi-tech grâce au développement des supercalculateurs Param, premiers à briser l’hégémonie américaine dans ce domaine, mais aussi de techniques astucieuses comme le sous-titrage multilingue/multiscript destiné à la diffusion de la télévision dans tous les états de l’Inde.
La guesthouse du C-DAC est une petite maison triste et bien propre où l’on peut croiser quelques voyageurs silencieux, plongés dans leurs pensées et prompts à retrouver leurs travaux puisque le centre est ouvert jour et nuit, sept jours sur sept.
Un homme me fait face au petit-déjeûner. Nous lions conversation. J’apprends qu’il s’appelle Raju, qu’il est mathématicien et travaille sur le projet Param, plus particulièrement sur les processus parallèles.
Je me lance :
J’ai rarement rencontré un érudit faisant preuve de telles capacités pédagogiques alliées à la plus grande modestie. Il me tarde de le revoir après 11 ans d’absence, le 26 octobre.
Je suis de passage au Centre for Development of Advanced Computing (C-DAC) pour présenter mes travaux de recherche en musicologie computationnelle, et particulièrement les derniers développements sur les structures polymétriques qui permettent de représenter des relations temporelles complexes. Le C-DAC est à cette époque le phare de la hi-tech grâce au développement des supercalculateurs Param, premiers à briser l’hégémonie américaine dans ce domaine, mais aussi de techniques astucieuses comme le sous-titrage multilingue/multiscript destiné à la diffusion de la télévision dans tous les états de l’Inde.
La guesthouse du C-DAC est une petite maison triste et bien propre où l’on peut croiser quelques voyageurs silencieux, plongés dans leurs pensées et prompts à retrouver leurs travaux puisque le centre est ouvert jour et nuit, sept jours sur sept.
Un homme me fait face au petit-déjeûner. Nous lions conversation. J’apprends qu’il s’appelle Raju, qu’il est mathématicien et travaille sur le projet Param, plus particulièrement sur les processus parallèles.
Je me lance :
— Je m’intéresse aux structures de time-objects appliquables à la musique aussi bien qu’à d’autres médias comme la vidéo. Il est intéressant de les définir incomplètement et de laisser des algorithmes décider de toutes les relations de précédence…Parfois, un petit-déjeûner à la tristounette guesthouse du C-DAC peut changer le cours d’une vie. Nous nous sommes revus à l’occasion de passionnantes présentations publiques et de conversations privées. La boucle sur la flèche du temps, les spéculations sur les formes de temps linéaire et de temps cyclique n’ont jamais quitté mes pensées. J’ai lu de nombreux articles et quelques ouvrages, dont le provocateur The Eleven Pictures of Time qui taille un costard aux théologiens et aux apôtres du libéralisme !
— Sur quelle base ?
— À partir de la structure du temps, qui peut être strié (battement métronomique) ou lisse, comme dans l’alap de la musique classique hindustani.…
— Structure du temps, tiens tiens !
— Oui, et pour cela j’utilise deux niveaux de représentation du temps : le temps symbolique — celui de la partition — représenté par des fractions entières, et le temps physique, mesuré par des nombres réels…
— Un temps superlinéaire. Mais pourquoi des nombres réels ?
— ???
— Cette question de la structure du temps est au cœur de mes travaux en physique. Je suis en train d’achever un ouvrage Time: Towards a Consistent Theory qui expose une théorie permettant de rendre compatibles la physique relativiste et la physique quantique. Pour faire bref, ma théorie est basée sur la possibilité d’une boucle sur la flèche du temps à l’instant présent. A 'tilt' enables a physics that permits both memory and creativity…
— Je le lirai volontiers.
— Il sera difficile à aborder si vous n’êtes pas physicien. Mais je vais m’attaquer à un ouvrage destiné à un lectorat multidisciplinaire : The Eleven Pictures of Time… Au fait, vous habitez Delhi, comme moi. Avec votre famille ?
— Oui, ma femme et notre fils. Elle est danseuse et chorégraphe.
— Dans quel style ?
— Danse contemporaine, bien qu’elle ait longuement étudié le Kathak, entre autres pour approfondir sa compréhension des structures rythmiques. Récemment elle a produit un solo où elle explore la polychronicité, ce qui revient à dire que le temps musical/chorégraphique s’écoulerait en plusieurs couches indépendantes. Un peu comme le boutiquier indien qui sert plusieurs clients à la fois, dans un désordre apparemment total ! Edward Hall a décrit cela dans son ouvrage The Dance of Life…
— Oh, je vois ! Et que fait-elle actuellement ?
— Elle prépare une œuvre chorégraphique avec 7 danseurs, qui sera titrée Cronos, titre emprunté au nom du dieu grec évoqué par Hésiode, le maître du temps cyclique [voir vidéo]. La structure de cette œuvre repose sur un renversement de la flèche du temps, à partir d’un moment central qui s’apparente à un big crunch (et donc simultanément un big bang) induit par un ordre excessif — vous diriez une « entropie minimale » ?
— C’est passionnant. Il faut qu’on en reparle !
J’ai rarement rencontré un érudit faisant preuve de telles capacités pédagogiques alliées à la plus grande modestie. Il me tarde de le revoir après 11 ans d’absence, le 26 octobre.