Serrure

Publié le 23 Avril 2006

Il avait oublié la mer, il ne mordait plus dans le citron, ses yeux redevinrent clairs.
— Alors ? demandai-je, et ton doigt ?
— Bien, voilà : il me gênait sur le tour. Il venait au beau milieu de tout, déranger mes plans. Alors moi, un beau jour, j’attrape la hachette…
— Et tu n’as pas eu mal ?
— Comment, je n’ai pas eu mal ! Je ne suis pas une souche, je suis un homme, ça m’a fait mal. Mais je te dis, il me gênait, alors je l’ai coupé.
Le soleil se coucha, la mer se calma un peu, les nuages se dispersèrent. L’étoile du soir brilla. Je regardai la mer, je regardai le ciel, je me pris à songer… Aimer ainsi, prendre la hachette, couper, et avoir mal… Mais je cachai mon émotion.
— Mauvais système que celui-là, Zorba ! dis-je en souriant. Ca me rappelle cette histoire que raconte « La légende dorée ». Un jour, un ascète vit une femme qui le troubla. Alors il prit une hache…
— L’imbécile ! m’interrompit Zorba, devinant ce que j’allais dire. Couper ça ! L’idiot ! Mais ce pauvre bougre, ce n’est jamais un obstacle.
— Comment ! insistai-je, et même un grand obstacle.
— À quoi ?
— À ton entrée au royaume des cieux.
Zorba me regarda de biais, d’un air moqueur.
— Mais ça justement, dit-il, idiot, c’est la clef du Paradis !
Nikos Kazantzaki. Alexis Zorba

Rédigé par Bernard Bel

Publié dans #LECTURES

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