Carré de 7

Publié le 27 Décembre 2005

Le grand accomplissement était d’arriver à faire un carré de sept.

Non, je ne parle pas d’un tour de cartes, mais d’un vrai carré d’acier, de 7 par 7 millimètres et d’au moins 50 millimètres de long, prolongé par une partie cintrée de longueur quelconque. Il fallait le faire au marteau pilon. Ceux qui n’ont jamais travaillé au marteau pilon ne savent pas encore ce qu’est un symbole de puissance, et je les absous de continuer à aimer la moto… Le pilon : une machine qui crache de la vapeur ou de l’air comprimé en agitant une énorme masse, juste devant votre nez, mais qui répond au quart de poil à une légère pression du pied. Pour forger au pilon il faut garder un calme olympien. Notre prof nous montrait parfois un exercice de maîtrise : enfoncer le bouchon d’une bouteille, jusqu’à entendre « ting ting », mais sans rien casser !

J’en reviens au carré de sept. Il ouvrait la porte au fond du stade du pensionnat. La nuit, il offrait quelques heures de liberté à ceux qui possédaient ce talisman. Nous étions peu à garder sur nous un carré de sept forgé en douce ; car c’était un autre exploit de travailler au pilon sans se faire remarquer… Pour les plus débrouillards, un carré de sept ouvrait aussi la porte de l’atelier, ce qui permettait d’en fabriquer d’autres ! (À l’époque il n’y avait ni vigiles ni alarmes, sauf un sympathique « macquet » à qui nous faisions parfois l’honneur d’un seau en équilibre au sommet de la porte du dortoir…)

Souvenirs… Je repense à tout cela en installant une poignée de porte. Elle est livrée avec deux carrés, de 7 bien entendu ; deux pour satisfaire tous les cas d’épaisseur. J’ai gardé en poche celui qui était en surplus : on ne jette pas un carré de sept !

Nous étions des puristes, dans cette école nationale professionnelle transformée en lycée technique où je traînais mes quatorze ans (deux fois sept). On aurait pu usiner un carré de sept sur une fraiseuse ou même, en toute discrétion, le tailler à la lime, car nous étions des as de l’ajustage… Mais un 49 fabriqué avec des instruments vulgaires n’aurait eu aucun prestige. L’objet forgé, c’était autre chose, car il était imprégné de la force redoutable du pilon. Il nous promettait une liberté qu’en général nous n’utilisions pas : le plus important était de savoir qu’on avait de quoi faire le mur, en cas de besoin !

Pour quitter l’ennui du dortoir il nous aurait fallu d’autres fantasmes. Alors, j’écrivais.

Rédigé par Bernard Bel

Publié dans #ENFANCE

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