Jardins secrets

Publié le 18 Septembre 2005

Toute relation « impliquante » entre êtres humains est un jardin secret qui devrait être respecté comme tel. Mais nous sommes loin du compte. J’utilise ce terme vague — « impliquante » — parce que la distinction entre amitié et amour n’a de sens qu’à travers le regard des autres. Il est facile de dire que l’amitié est une relation entre adultes sans rapport sexuel. Qu’en est-il du désir ? Si je caresse la joue d’une « amie » en lisant du plaisir sur son visage, est-ce un geste « amoureux », inconvenant pour la situation ? Serait-il plus convenable de la serrer dans mes bras ? Il est clair pour moi qu’on peut éluder ces questions, sauf à vouloir enfermer la relation dans un cadre conforme à la poursuite d’objectifs particuliers.

Autre point important : c’est bien du secret du jardin que je parle, pas du secret de la relation. Ce qui veut dire qu’une relation établie socialement (mariage etc.) mérite d’être préservée avec autant de précautions qu’une relation non constituée. Or de nombreux couples sont confrontés à des intrusions dans leur vie sentimentale que je n’hésiterai pas à qualifier d’obscènes. (De même, les enfants ont aussi leurs jardins secrets, à respecter dès leur naissance…)

Marguerite Yourcenar écrivait (dans « Alexis ou le traité du vain combat ») : Les confidences […] sont toujours pernicieuses, quand elles n’ont pas pour but de simplifier la vie d’un autre. Le respect des jardins secrets est un moyen de ne pas mentir, mais surtout de ne plus mentir à soi-même (« c’est juste un/e ami/e ! »).

Il me paraît fondamental de faire le discernement entre une autonomie, négociée et construite dans le respect mutuel, et l’individualisme imposé à l’autre. L’autonomie est un espace de liberté qu’on s’est accordé, d’un commun accord, et sans lequel il serait difficile de vivre ensemble. Dans cette liberté il y a des choses qu’on ne peut pas partager, des zones de silence qui ne devraient pas donner prise à de la méfiance.

L’individualisme, par contraste, ouvre la voie à toutes sortes de suppositions, fausses intuitions, suspicions finalement, alors même qu’on serait d’accord pour vivre de manière autonome. Poussé à l’extrême, il devient destructeur. Marguerite Yourcenar, encore : Lorsque le silence s’est établi dans une maison, l’en faire sortir est difficile; plus une chose est importante, plus il semble qu’on veuille la taire. On dirait qu’il s’agit d’une matière congelée, de plus en plus dure et massive : la vie continue sous elle ; seulement, on le l’entend pas.

Quand on est avec quelqu’un dans l’intimité, que ce soit amical, fraternel ou sexuel, on souhaiterait que cette personne soit présente toute entière, pas avec son père, sa mère, ses chiens ou ses amant(e)s. Ce qui peut engendrer des souffrances, c’est l’aliénation du désir d’une personne absente — le seul sens que j’accorde au terme « passion ». Hors de ce piège, il n’y a personne à rassurer puisqu’il n’y a aucun enjeu dans la relation.

Rédigé par Bernard Bel

Publié dans #PRISES DE TETE

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article